L’inflation des prix à la consommation et le financement des Premières Nations

Résumé

Cette note décrit brièvement ce qu’est l’inflation et comment elle est mesurée. Elle aborde les récentes hausses marquées de l’inflation au Canada qui ont causé des problèmes à de nombreux Canadiens, et plus particulièrement aux Premières Nations.

Les rajustements selon l’inflation ne remplacent pas l’octroi d’un financement adéquat pour les besoins d’une Première Nation. Si un secteur de programmes est sous-financé par rapport aux besoins à combler, ce financement demeurera insuffisant même avec un rajustement tenant compte de l’inflation.

Dans cette note, nous proposons deux approches permettant de rajuster le financement des programmes des Premières Nations pour qu’il reflète plus fidèlement les réalités contextuelles de nombreuses communautés et le coût de la vie plus élevé auquel elles font face. Une fois que serait assuré un financement adéquat par rapport au contexte, on ajouterait le rajustement selon l’inflation aux deux approches pour lisser les différences de prix.

Qu’est-ce que l’inflation?

On entend par « inflation des prix à la consommation » la variation de l’indice des prix à la consommation (IPC) au fil du temps. Voici comment Statistique Canada décrit l’IPC :

« L’indice des prix à la consommation représente les variations de prix comme expérimenté par les consommateurs canadiens. Il mesure la variation de prix en comparant, au fil du temps, le coût d’un panier fixe de biens et services. »

Le panier fixe de biens et services est choisi de 700 catégories de produits normalement achetés par les consommateurs. On y trouve des produits de première nécessité, des produits de luxe et des produits tels que le tabac et les boissons alcoolisées. Chaque mois, on fait par diverses méthodes un relevé des prix d’un échantillon de biens et de services dans chaque catégorie de produits, pour mesurer la valeur de l’IPC pour ce mois. Les prix sont ceux payés par les consommateurs, en incluant les rabais et toutes les taxes. Les prix observés sont ensuite pondérés selon leur importance.

Il importe de souligner que l’IPC n’est pas une mesure du coût de la vie pour chaque ménage ou individu. Il représente le coût d’un panier fixe de biens et services. L’IPC peut surestimer ou sous-estimer le coût pour un consommateur en particulier qui achète un panier de biens différent. De plus, l’IPC ne représente pas les achats effectués dans les réserves des Premières Nations, les bases militaires, les prisons et les établissements de soins de longue durée, puisqu’il est fondé sur les données de consommation de la plus grande partie de la population canadienne, qui n’habite pas dans ces endroits.

Il est également important de garder à l’esprit la différence qui existe entre le niveau des prix et le taux d’inflation :

  • Ce qui détermine le coût de la vie pour un consommateur, c’est le niveau des prix qu’il paie pour le panier de biens et services qu’il achète à un moment précis.
  • Le taux d’inflation indique combien le consommateur paie de plus pour le même panier par rapport à l’année dernière ou au mois dernier.

Chaque mois, Statistique Canada publie la valeur de l’IPC pour le mois précédent. Cette communication comprend l’IPC pour l’ensemble des articles et plusieurs sous-catégories comme le logement, l’énergie, le transport, etc. Le taux d’inflation affiché consiste en la variation subie par la valeur de l’IPC par rapport à la valeur d’il y a douze mois (taux d’inflation d’une année à l’autre). On pourrait également examiner le taux d’inflation d’un mois à l’autre ou le taux d’inflation moyen annuel.

Le 20 juillet 2022, Statistique Canada a publié l’IPC de juin 2022, qui est de 8,1 % supérieur à la valeur de l’année précédente (juin 2021). Le tableau 1 présente le taux d’inflation pour l’ensemble des articles de l’IPC et certaines de ses sous-catégories. Les hausses marquées observées dans les prix de l’énergie, en particulier de l’essence, des transports et des aliments, sont principalement responsables du taux d’inflation de 8,1 % enregistré en juin.

En 1991, le gouvernement du Canada et la Banque du Canada ont fixé une cible d’inflation de 2 % pour l’IPC d’ensemble, avec une fourchette de maîtrise de l’inflation de 1 à 3 %. La Banque du Canada a été chargée d’appliquer une politique monétaire visant à maintenir le taux d’inflation au point médian de la fourchette cible. Depuis avril 2021, le taux d’inflation d’une année sur l’autre dépasse le sommet de la fourchette cible. Plusieurs raisons expliquent pourquoi le taux d’inflation a connu une hausse marquée au cours des douze derniers mois, notamment la demande comprimée post-pandémie, la rupture d’approvisionnement imputable à la pandémie, la guerre en Ukraine et la forte augmentation des prix des matières premières après l’invasion de l’Ukraine.

Pour illustrer l’impact de la récente hausse du taux d’inflation sur le niveau des prix, nous comparons l’IPC réel à un cas hypothétique qui postule que l’inflation d’une année à l’autre est égale au taux cible de 2 %, à compter de mars 2020 (figure 1). Si le taux d’inflation était demeuré au niveau cible, le niveau de l’IPC serait de 6 % inférieur à celui qu’on connaît actuellement. Pour un consommateur dont les habitudes de consommation sont similaires au panier fixe de l’IPC, la récente hausse de l’inflation représente une augmentation de 6 % du coût de la vie par rapport à ce qu’il aurait connu si l’inflation était demeurée au niveau cible. Pour d’autres consommateurs ayant des préférences de consommation différentes, l’impact sur le coût de la vie pourrait être supérieur ou inférieur à 6 %. Par exemple, pour un ménage qui consacre la plus grande partie de son budget à l’alimentation, au logement et à l’essence, l’augmentation du coût de la vie sera supérieure à 6 %.

Une autre façon de constater les répercussions potentielles du coût de la vie consiste à examiner l’inflation moyenne des trois dernières années. La figure 2 indique le taux d’inflation moyen d’une année à l’autre à l’échelle nationale et dans les provinces et territoires. En moyenne, l’inflation au Canada s’est située à 4 % par année depuis juin 2019. L’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, le Manitoba et l’Alberta connaissent une inflation supérieure à la moyenne nationale. Il est intéressant de constater que les territoires, malgré leur éloignement, ont connu une inflation moyenne inférieure à la moyenne nationale. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’IPC n’inclut que les prix enregistrés à Yellowknife, Whitehorse et Iqaluit, et non les prix dans les zones rurales situées en dehors de ces villes.


Même si la Banque du Canada ne peut influencer les facteurs mondiaux de la récente hausse du taux d’inflation, elle peut agir sur la demande intérieure de biens et services en relevant les taux d’intérêt. Depuis mars 2022, la Banque du Canada a augmenté de 2,25 points de pourcentage son taux directeur cible, et certains effets sur le marché du logement ont déjà été observés. La Banque du Canada prévoit que le taux d’inflation de l’IPC d’ensemble diminuera à 2 % d’ici 2024.

Conséquences pour le financement des Premières Nations

Il n’existe pas de mesure officielle pour l’inflation dans les réserves des Premières Nations, puisque les données de l’IPC proviennent de la population en général (et représentent donc la plus grande partie de la consommation au Canada). De nombreuses Premières Nations sont situées loin des grands centres de population, et pour beaucoup d’entre elles l’accès à de nombreux biens et services est problématique, en partie à cause de l’absence d’accès routier à longueur d’année. Il est donc manifeste que le coût de la vie est beaucoup plus élevé chez la plupart des Premières Nations que dans le reste du pays.

Quand le gouvernement fédéral finance des programmes de logement, d’éducation, de santé et de protection de l’enfance, il doit tenir compte du coût de la vie plus élevé dans les réserves. Le défi consiste à déterminer quelle serait la base du rajustement selon l’inflation et comment ce rajustement est calculé, d’après le contexte particulier de chaque Première Nation.

Nous proposons deux options pour rajuster en fonction du coût de la vie le financement des programmes des Premières Nations.

Option 1 : Rajustement fondé sur la mesure du panier de consommation (MPC)

La Loi sur la réduction de la pauvreté de 2019 a fait de la MPC le seuil de pauvreté officiel du Canada. La MPC est fondée sur le coût d’un panier de biens et services qui permet aux individus et aux familles de maintenir un niveau de vie de base. Ce panier est différent du panier fixe de l’IPC, puisqu’il ne comprend que les articles nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux.

Pour estimer la MPC, Statistique Canada utilise les données de l’Enquête canadienne sur le revenu. Des estimations officielles sont disponibles pour les provinces, et des estimations préliminaires le sont pour le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Le tableau 2 présente les seuils de revenu disponible pour les capitales des provinces et des deux territoires pour 2018. Les estimations sont fondées sur les données de 2018 et sont préliminaires pour les territoires.

Les seuils estimés correspondent au revenu disponible dont a besoin une famille de quatre personnes pour subvenir à ses besoins essentiels. L’écart entre les estimations reflète en grande partie les différences dans le coût de la vie. Si des estimations de la MPC pour les Premières Nations vivant dans des réserves étaient établies, nous pourrions utiliser l’écart entre la MPC d’une province et la MPC des Premières Nations de cette province comme mesure de la différence du coût de la vie. On peut affirmer que les conditions de vie et le coût de la vie dans les réserves des Premières Nations s’approchent de ce qu’on observe dans les territoires, au vu de facteurs comme la faible densité démographique, la géographie, l’accès aux produits et services, etc. Il est donc possible d’utiliser les seuils de la MPC des territoires comme mesure substitutive pour les Premières Nations dans les réserves. La MPC moyenne des territoires est d’environ 24,8 % supérieure à la MPC moyenne des provinces. À la lumière de ce constat, on peut déduire que le coût de la vie dans les réserves est environ 24,8 % plus élevé que dans le reste du pays, ce qui signifie qu’il faudrait rajuster de 24,8 % le financement des Premières Nations pour tenir compte du coût de la vie supérieur. Une des principales lacunes de cette approche est qu’elle ne considère pas les importantes différences contextuelles qui existent entre les Premières Nations. Nous proposons ci-dessous une autre approche qui reconnaît mieux ces différences.

Option 2 : Rajustement fondé sur le facteur de coût de l’éloignement

Pour tenir compte du contexte particulier des Premières Nations, une option consiste à appliquer une mesure de leur éloignement. Statistique Canada a mis au point un indice d’éloignement, à l’aide d’un modèle de gravité basé sur les coûts de déplacement (comme mesure substitutive de la distance) et les facteurs d’agglomération. Il s’agit d’un indice continu, portant des valeurs de zéro à un pour 5 211 subdivisions de recensement (SDR), qui produit un indice d’éloignement pour toutes les communautés des Premières Nations[1]. L’indice d’éloignement lui-même ne donne aucun renseignement sur les différences de coût de la vie entre les Premières Nations, mais il peut servir à modéliser ou à comprendre la relation entre les coûts et l’éloignement. En 2018, un groupe de travail interne de Services aux Autochtones Canada (SAC), comprenant des représentants des organismes centraux et de l’Assemblée des Premières Nations (APN), a supervisé l’établissement d’une relation fonctionnelle entre les coûts et l’éloignement pour les communautés des Premières Nations.

Une analyse statistique[2] a servi à estimer la relation entre d’une part les coûts de main-d’œuvre et le coût des matériaux et d’autre part l’indice d’éloignement, et si la communauté avait accès à un lien routier ou un traversier. En 2021, SAC a appliqué diverses techniquse statistiques pour tester la robustesse de l’estimation initiale. On a mis au point la formule suivante pour obtenir un facteur d’ajustement des coûts tenant compte de l’incidence de l’éloignement sur le coût des programmes fournis aux Premières Nations dans les réserves. On a estimé la forme fonctionnelle en prenant comme hypothèse que les organisations qui exécutent les programmes sont basées dans les réserves. Les coefficients (0,863 et 0,508) ont été estimés au moyen de données sur la rémunération des employés fédéraux qui travaillent dans des postes isolés et sur le coût de l'expédition de matériel à ces postes.

 Rajustement du facteur de coûts=0,863*Indice d’éloignement + 0,508*Voyage en avion

En utilisant l’indice d’éloignement d’une communauté des Premières Nations et l’information sur son accès routier, il est possible d’estimer un facteur de rajustement des coûts, qu’on peut interpréter comme reflétant la différence de coût de la vie entre une Première Nation et une communauté ayant un indice d’éloignement zéro et disposant d’un accès routier.

Par exemple, si la nation crie de Bunibonibee dans le nord du Manitoba, qui présente un indice d'éloignement de 0,7 (IE=0,7) et est dépourvue d’accès routier (Voyage en avion=1), veut estimer son facteur de rajustement des coûts, elle peut incorporer la valeur de son indice d'éloignement et la valeur de voyage en avion de 1 dans la formule de rajustement des coûts (0,863*0,7+0,508*1=1,11). Il en résulte un facteur de rajustement de 111 %, ce qui implique que le coût de la vie dans cette communauté est d’environ 111 % plus élevé que celui d'une grande agglomération voisine.

Cette approche peut servir à estimer le rajustement du coût de la vie pour tous les programmes des Premières nations.

Les options présentées ci-dessus portent sur les différences de coût de la vie ou de niveau des prix pour les Premières Nations, qui reflètent l’impact cumulatif d’une inflation plus élevée au fil des ans. Une fois que le niveau des prix serait rajusté, le financement futur devrait être indexé à un taux d’inflation officiel. Il pourrait s’agir par exemple du taux d’inflation de l’IPC de l’année précédente, ou d’une moyenne des taux d’inflation des trois dernières années de l’IPC.

Conclusion

L’inflation érode progressivement le pouvoir d’achat des individus. La poussée d’inflation post-pandémique est devenue un défi majeur pour les familles et les décideurs. En général, l’inflation touche plus durement les communautés marginalisées et les Premières Nations. Les options présentées ici proposent des outils de substitution pour compenser l’impact de l’inflation passée sur les programmes des Premières Nations.

Il est nécessaire de mettre en place une solution permanente permettant de garantir l’existence de données fiables sur les prix à la consommation et le coût de la vie dans les réserves des Premières Nations. Le rapport intérimaire du Comité consultatif mixte sur les relations financières avec les Premières Nations recommandait la création et le financement d’un organisme national de la statistique des Premières nations qui travaillerait avec les Premières Nations à la définition, à la collecte, à l’analyse et à la diffusion de données statistiques relatives aux Premières Nations.[1] Un tel organisme pourrait être chargé de recueillir des données sur les dépenses de consommation et les prix à la consommation dans les réserves. On disposerait alors de données officielles pour faire en sorte que le financement des programmes des Premières Nations soit adéquatement rajusté au coût de la vie et à l’inflation.