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Le facteur d’enrichissement dans les soins de santé – une perspective mondiale et canadienne

par Dominique Lapointe

Dans notre dernière étude [en anglais] portant sur le Transfert canadien en santé (TCS), beaucoup d’attention a été portée à la différence projetée entre les besoins futurs en matière de santé et le TCS. En effet, notre conclusion selon laquelle le gouvernement fédéral va se désengager à terme du financement des soins de santé au pays est lourde de ramifications. Toutefois, la méthode employée afin de déterminer les besoins futurs en matière de santé est elle aussi importante[1].

Ainsi, les besoins monétaires futurs en santé sont définis comme étant la somme de variables démographiques, soit la croissance de la population et le vieillissement de la population, ainsi que l’inflation et la croissance du revenu. Un avantage de ces variables est notre capacité à les mesurer et, dans une certaine mesure, les prévoir longtemps à l’avance[2]. Par contre, d’autres variables qui elles aussi affectent les coûts des soins de santé sont beaucoup plus difficiles à mesurer et même à définir. C’est pour cette raison qu’une publication de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), entre autres études, définit toute variable expliquant la croissance des soins de santé ne dépendant pas de la démographie ou du revenu comme un résidu[3]. Leur importance n’est cependant pas marginale. En effet, des facteurs aussi importants tels que l’amélioration de la qualité des soins donnés dû aux avancées technologiques, l’élargissement de l’accès aux soins et des couvertures individuelles[4] et le prix relatif des traitements médicaux[5] ont tous comme effet l’accroissement des dépenses de santé, mais sont inclus dans le résidu.

Une manière d’observer le résidu est donc en comparant les dépenses totales effectives en santé d’une province ou d’un pays par rapport aux dépenses dites fondamentales qui dépendent de la démographie, de la croissance du revenu et de l’inflation. Ainsi, lorsqu’on remarque qu’un pays ou une province dépense plus que les besoins fondamentaux, on parle d’enrichissement positif[6]. L’adoption de nouvelles technologies ou bien l’élargissement de la couverture d’assurance santé des citoyen(ne)s de la région en question constitue une forme d’enrichissement du système de santé. En revanche, il arrive que les dépenses effectives en santé soient, pendant une période de temps, plus basses que les besoins fondamentaux basés sur la démographie, la croissance du revenu et l’inflation. Dans ce cas-ci, on parle d’enrichissement négatif. Conceptuellement, l’enrichissement négatif est plus difficile à interpréter, car il s’agit d’argent non-dépensé qui aurait pu être alloué à des nouvelles technologies ou à un élargissement de la couverture des soins de santé. Par ailleurs, un enrichissement négatif peut aussi être dû à une augmentation de la productivité du système de santé, soit une baisse des dépenses nécessaires pour offrir le même niveau et qualité de service. Étant donné la difficulté à mesurer ces facteurs, il est aussi possible qu’un enrichissement positif (négatif) soit le fruit de dépenses excessives (modestes), ouvrant la porte à un surinvestissement (sous-investissement). 

Entre 1995 et 2009, la très grande majorité des pays de l’OCDE a enregistré un enrichissement positif (voir graphique 1). Il est intéressant de noter que parmi les cinq pays ayant enregistré le plus fort enrichissement, quatre sont définis comme économies émergentes[7]. Le BRIICS (soit le Brésil, la Russie, l’Indonésie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) affiche par ailleurs un enrichissement plus élevé que la moyenne de l’OCDE. Une hypothèse pouvant expliquer cette tendance est celle de la convergence. En effet, tel que noté par l’OCDE, les économies ayant à la base des dépenses de santé totales plus faibles ont tendance à « rattraper » leurs pairs plus avancés à mesure qu’elles se développent, adoptant des nouvelles technologies, élargissant l’accès aux soins et possiblement générant de l’enrichissement positif ou même un surinvestissement.

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Au Canada, même si l’enrichissement calculé par l’OCDE entre 1995 et 2009 est plus faible que la moyenne, la presque totalité des provinces a affiché un enrichissement positif entre 1985 et 2015 (voir graphique 2)[8]. Les provinces en tête du palmarès sont l’Alberta, le Manitoba et la Saskatchewan.

Plus récemment, on remarque l’apparition d’enrichissement négatif dans presque toutes les provinces en raison d’une compression importante de la croissance des dépenses de santé afin de retourner à l’équilibre budgétaire. L’enrichissement négatif a été le plus prononcé en Ontario, venant partiellement contrebalancer un surinvestissement possible (enrichissement positif entre 1985 et 2015).

Finalement, le Québec est un bon exemple de la limite de l’identification de l’enrichissement. En effet, malgré que la province ait systématiquement dépensé moins que les coûts fondamentaux depuis le milieu des années 90, l’état de santé de sa population et la performance de son système de santé se classent relativement bien par rapport aux autres provinces ayant bénéficié d’enrichissement positif[9] (voir graphique 3). La théorie selon laquelle l’enrichissement négatif serait le reflet d’un retard au niveau de l’adoption de technologies ou bien un manque de couverture est donc difficile à appliquer dans ce cas-ci.

En résumé, bien que l’enrichissement soit explicable en théorie et mesurable en pratique, son interprétation est limitée et nécessiterait une analyse « au cas par cas ». De manière générale, un enrichissement positif de tandem avec une augmentation rapide des dépenses de santé est observé au Canada dans presque toutes les provinces, et dans la plupart des pays de l’OCDE, dans les deux dernières décennies. Par contre, il sera important de mesurer les impacts potentiels d’un enrichissement négatif projeté par l’IFPD pour les années à venir.


 

[2] Un autre avantage repose sur la méthodologie cohérente utilisée dans leur mesure, permettant une comparaison entre pays et, dans notre cas, entre provinces.

[3] Dans un contexte de régression statistique, un résidu est défini comme l’équivalent échantillonnal du terme d’erreur, soit l’ensemble des facteurs non-identifiés ayant un impact sur une variable dépendante, dans ce cas-ci : les dépenses de santé.

[4] La Loi canadienne de 1984 sur la santé et l’Affordable Care Act aux États-Unis en sont des exemples.

[5] Par exemple, une étude de Dormont et Hubert (2005) révèle qu’en France, une baisse des coûts relatifs pour certains types d’opérations telle que la chirurgie de la cataracte a entraîné une augmentation substantielle de la fréquence de celle-ci. Les dépenses totales pour ce type d’opérations ont donc augmenté malgré une baisse relative de leur prix.

[6] Terme aussi utilisé par le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario.

[7] Tel que défini par l’indice MSCI.

[8] Il est important de noter que la définition d’enrichissement diffère entre l’OCDE et l’IFPD pour des raisons de données et de méthodologie. Toute comparaison possible reste donc limitée.