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L’économie du Québec et de l’Ontario vues à travers les taux d’entrées et de sorties du chômage

par Dominique Lapointe

Chaque mois, Statistique Canada publie sa très populaire enquête sur la population active (EPA). Au menu figurent les très suivies données sur le taux de chômage et le changement dans le niveau d’emploi. Bien que ce sondage fournisse des statistiques détaillées sur la dynamique d’emploi au Canada et dans ses régions, aucune information n’est disponible à propos des mouvements d’entrées et de sorties du chômage au pays. Par ailleurs, bien que Statistique Canada publie aussi des statistiques mensuelles sur les nouvelles demandes d’assurance-emploi, celles-ci ne correspondent pas nécessairement à celles du chômage de l’EPA et sont publiées avec un mois de retard. Aux États-Unis, la demande d’information sur les mouvements d’entrées et de sorties du chômage est comblée par le Job Openings and Labor Turnover Survey (JOLTS) du Bureau of Labor Statistics. Ce dernier sonde directement les employeurs à propos des ouvertures de postes, des embauches, des congédiements, des départs volontaires et des autres types de séparation aux États-Unis. Le JOLTS permet une analyse plus nuancée du marché du travail en permettant d’identifier des pénuries ou des surplus de main d’œuvre. Il est une source de référence pour les marchés financiers et les décideurs publics.

L’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD) publie aujourd’hui un rapport [en anglais] sur les entrées et sorties du chômage au Canada en répliquant un modèle développé à l’origine pour les États-Unis (Shimer (2012) et Elsby et al. (2009)) et repris par la suite au niveau canadien par Campolieti (2011) puis Bartlett et Tapp (PBO, 2012). Ainsi, à l’aide des micro-données de l’EPA, il est possible d’estimer les taux d’entrées et de sorties du chômage, représentés comme la vitesse relative à laquelle les employés quittent ou perdent leur emploi, st, et la vitesse relative à laquelle les chômeurs se trouvent un emploi, ft.[1] Ces données seront à l’avenir publiées chaque mois par l’IFPD suivant la publication de l’EPA.

Le graphique 1 ci-dessous montre l’évolution du taux d’entrées et sorties du chômage au Canada depuis 1976. Généralement, les sorties du taux de chômage augmentent lors de périodes de croissance économique et diminuent lors des récessions. Les entrées sur le chômage suivent le chemin inverse. Suite à la récession de 2008-09, le taux de sorties a grandement diminué, ne remontant significativement que depuis la fin de 2016. Le taux d’entrées pour sa part a augmenté rapidement durant la récession, mais a depuis repris sa tendance de long-terme, généralement baissière.

L’estimation des taux d’entrées et sorties du chômage est aussi intéressante d’un point de vue provincial. Elle permet, entre autres, d’analyser avec plus de profondeur la performance de l’économie du Québec et de l’Ontario au courant des dernières années.

Suite à la récession de 2008-09, entre 2010 et 2013, le taux de chômage du Québec et de l’Ontario s’est stabilisé aux alentours de 8% dans les deux provinces (graphique 2). Cette performance similaire du marché de l’emploi dans les deux plus grandes économies du Canada, représentant près de 60% du PIB national, est corollaire à la performance économique également similaire des deux provinces (graphique 3). Par contre, à partir de la deuxième moitié de 2013, et ce jusqu’au début de l’an dernier, l’économie ontarienne prend les devants de manière significative vis-à-vis du Québec avec une croissance fluctuant entre 2,5 et 3,0%, comparée à une fluctuation entre 1,0 et 1,5% pour le Québec. Cette situation prévalait jusqu’à tout récemment. En effet, au quatrième trimestre de 2016, l’économie québécoise s’est mise à croître plus rapidement[1] que sa voisine de l’Ontario. De la même manière, le taux de chômage québécois est maintenant similaire à celui prévalent à l’ouest de sa frontière (graphique 2).  

Les taux d’entrées et de sorties du chômage viennent nuancer cette analyse. En effet, depuis la fin de la récession, le taux de sorties du chômage en Ontario, soit la vitesse relative à laquelle les gens sortent du chômage et trouvent un emploi, suit une tendance haussière avec des augmentations importantes de 15% au deuxième trimestre de 2014 et au troisième trimestre de 2017 (graphique 4A). Le taux de sortie du chômage en Ontario a même atteint au troisième trimestre de 2017 son plus haut niveau depuis 10 ans; très près du record historique de 1976 établi au quatrième trimestre de 2007.[1] À l’inverse, le taux d’entrées sur le chômage suit généralement une tendance baissière.

La situation diffère du côté québécois. Bien que les taux d’entrées et de sorties du chômage affichent généralement plus de volatilité, leur niveau respectif oscille sans tendance notable entre 2010 et 2014 (graphique 4B). Toutefois, une baisse de 21% du taux de sorties du chômage entre le quatrième trimestre de 2014 et le deuxième trimestre de 2015[1] vient expliquer la hausse modérée du chômage au Québec au courant de cette période; conséquence du ralentissement économique généralisé décrit plus haut. La situation s’améliore à partir de la première moitié de 2015, mais surtout en raison d’une baisse du taux d’entrées sur le chômage. Ce dernier chute de 28% entre le troisième trimestre de 2014 et le premier trimestre de 2017.

Qu’est-ce qui explique une telle dynamique entre les économies québécoise et ontarienne? Une brève évaluation de certaines composantes des comptes nationaux permet de formuler quelques hypothèses. En effet, on remarque que l’écart persistant de croissance entre les deux provinces entre 2013 et 2016 est généralisé à travers les différents secteurs de l’économie. Premièrement, en partie en raison du dynamisme du marché immobilier en Ontario, les ménages ontariens dépensent à un rythme plus rapide. Ceci s’illustre de surcroît par un taux d’épargne québécois plus élevé qu’en Ontario à partir du début de 2014, situation qui perdure jusqu’à ce jour (graphique 5). Deuxièmement, à partir de 2013 et ce jusqu’au milieu de 2016, les investissements des entreprises québécoises entament une période de retrait prolongé, situation qui n’est pas observée en Ontario. Finalement, les efforts du gouvernement du Québec afin de rétablir l’équilibre budgétaire s’illustrent dans un repli des dépenses de consommation du gouvernement provincial pour l’année 2015 (graphique 6).

En conclusion, l’analyse du marché du travail canadien et provincial est enrichi par les flux d’entrées et sorties du chômage. Leur utilisation permet la décomposition de la variation du taux de chômage d’une région ou d’une industrie en fonction des taux d’entrées et de sorties du chômage. Elle offre par ailleurs une autre perspective sur la situation économique actuelle. Suite à la publication mensuelle de l’EPA de Statistique Canada, l’IFPD continuera de publier mensuellement les taux d’entrées et de sorties du chômage au Canada et dans certaines provinces tout en continuant de commenter sur certains enjeux spécifiques leur étant reliés.


[1] Partiellement contrebalancée par une baisse de 16% du taux d’entrées sur le chômage.

[2] Les données sur le taux de chômage de Statistique Canada débutent en 1976. 

[3] En glissement annuel.

[4] Pour plus d’information sur la méthodologie, voir l’annexe A du rapport [en anglais] de IFPD.